Adalberto da Silva Retto Júnior: Dans le livre Échelles et Temporalités du Projet Urbain, Paris, J.M. Place, 2007, sous sa coordination, le terme "Projet urbain" est un instrument capable d'articuler les différentes échelles et les différents temps, autant des aspects de l’espace, figurés et formels, que dans les sociaux. C’est-à-dire, l'intervention urbaine selon un "axe morphologique» et un "axe du processus": le premier concernant à l'organisation de l'espace et le second à la capacité de transformation au fil du temps. En ce qui concerne à la temporalité, elle doit être considérée non seulement le temps nécessaire pour la réalisation du projet, mais aussi celui des dispositifs pratiques, mis à la disposition des projets tels que les accords public-privé, le financement et aussi la consultation avec les parties prenantes.
On peut parler, surtout dans le cadre de la tradition française, dans une "culture du projet urbain". Où ces deux aspects apparaissent-ils avec une telle efficacité?
Yannis Tsiomis: Il y a effectivement une "spécificité française" qui consiste du passage de l’urbanisme réglementaire (l’urbanisme qui correspondait à une époque où tout était réglementé par des lois), à celui du projet urbain. S’il y a une "culture du projet urbain" en France c’est bien celle-là : envisager le projet comme processus, comme démarche qui est à chaque fois à réinventer. Cette vision du projet urbain a été même théorisée par des sociologues urbains et architectes-urbanistes (entre autres les sociologues François Ascher, Alain Bourdin, les architectes Christian Devillers, Antoine Grumbach etc.). Ceci dit quand on pense aux projets urbains de Barcelone ou en Allemagne aujourd’hui on se rend compte que plusieurs pays européens ont cette "culture de la démarche du projet" ou "culture du projet comme démarche". Comme je le développe dans mes livres (Anatomies des projets urbains-Editions de la Villette, 2007 - Echelles et temporalités des projets urbains – Ed. J.M.Place, 2006 -, Matières de villes - Editions de la Villette, 2008 - le projet est une négociation constante, un enjeu et un révélateur des stratégies, parfois contradictoires, des acteurs: politiques, techniciens, administrations, services techniques des municipalités, promoteurs privés et publics etc. Chaque acteur a sa logique, sa stratégie, sa propre temporalité. Le projet sert alors un terrain de conflits et de négociations pour arriver à un compromis, à une stratégie commune.
ASRJ: Les nouveaux termes de la question urbaine et le terme de la gestion urbaine contemporaine se constituient un véritable problème, un problème commun et évident. Plusieurs auteurs ont souligné que l'instrumentalisation en milieu urbain est révélée inadéquate pour gouverner, structurer, et prévoir des formes pour les périphéries de la ville, ou même des formes de banlieues, où les forces du marché sans règles oules programmes préétablis, determinentles règlements morphologiques du territoire. Comment penser,au plan de la recherche et du projet, cette nouvelle dimension à la lumière des questions environnementales et les préoccupations écologiques, si les instruments conceptuels sont prévus ou ne sont efficaces que sur une petite échelle?
YT: Le territoire est comme une mosaïque. Il est constitué d’une multitude d’entités avec leur propre histoire et stratification et en même temps ces entités sont interconnectées et dépendantes l’une de l’autre. Jusqu’à une période récente on distinguait la ville consolidée, la ville historique, des banlieues comme si ces dernières n’avait pas d’histoire. L’exemple le plus évident c’est Paris. Jusqu’aux années 1990, Paris intra-muros (à l’intérieur du Boulevard périphérique) était considéré comme "historique" et donc plusieurs quartiers étaient soumis à des réglementations particulières de sauvegarde etc. Par contre la périphérie de Paris était – et en grande mesure l’est encore - comme un terrain d’extension sans histoire, et donc en partie, sans règles. Exemple flagrant les infrastructures – autoroutes, voies ferrées etc. - qui ont bouleversé la structure urbaine des banlieues. Or, il suffit d’étudier la cartographie des 19e et 20e siècles pour s’apercevoir que les banlieues ont d’une part une structure urbaine très ancienne et d’autre part une évolution certainement chaotique à cause de l’industrialisation et de la désindustrialisation, mais dont la stratigraphie est encore lisible. Jusqu’à maintenant on procédait dans le sens Paris-banlieue tandis que maintenant il faudrait procéder dans l’autre sens: de la banlieue à Paris.
Du coup, et j’en viens à la deuxième question, il faut effectivement changer de logique et des instruments et d’outils d’action. Le changement d’échelle oblige à regarder le territoire dans son entier, de le traiter comme un ensemble fait de multitudes de micro-territoires mais qui s’imbriquent l’un dans l’autre. Par ailleurs jusqu’à une période récente les questions de l’environnement et écologique étaient absente des problématiques aussi bien des chercheurs que des acteurs publics ou privés. Le changement d’échelle d’une part et la question environnementale d’autre part conduisent ainsi à changer des méthodes d’analyse – multiplication des disciplines concernées - et des méthodes d’action – multiplication des acteurs. L’intercommunalité – la coopération des municipalités entre elles - est devenu un impératif difficile à mettre en œuvre. Mais sans cela il est impossible de penser la métropole. D’une part donc il faut changer des méthodes de la aprt des architectes-urbanistes et des autres disciplines, et d’autre part il faut une action politique et des règles qui combinent le centralisme d’Etat et la décentralisation. Cette combinaison est évidemment difficile car le libéralisme du marché et les intérêts privés deviennent un obstacle à une vision raisonnée de la grande échelle. En tout cas les méthodes d’intervention sur la petite échelle sont absolument inefficaces pour la grande échelle. Les logiques du projet métropolitain diffèrent de celles du projet urbain.
ASRJ: Vous écrivez que "l'architecte est situé au carrefour de connaissances différentes et savoir-faire, que la nature des projets et programmes est différente et queconcevoir un bâtiment et concevoir un territoire, ville ou paysage, ce n'est pas la même chose ; que les acteurs impliqués ne sont pas les mêmes, que les techniques appliquées sont multiples, que les échelles sont étendues et que chaque échelle correspond à des positions différentes de la conception, que les méthodes, les formes et la substance, les critères esthétiques, toutc’est différent".
Devant cette déclaration, dans laquelle le projet passe par une approche de développement multi-échelle, comment pourrait-on penser aux méthodes d'enseignement dans les projets éducatifs des écoles d'architecture?
YT: En partie j’ai répondu dans la question précédente. Ceci dit pour l’enseignement le grand problème est comment on permettra à l’étudiant de comprendre la complexité qu’apporte le changement d’échelles et donc le changement et la multiplication des acteurs mais aussi le changement des représentations. Comme je l’ai dit le projet n’est pas une image à la mode – que les étudiants imitent en regardant les revues! Derrière le dessin il y a du sens, des concepts, des stratégies. Je pense qu’une manière de procéder est la travail analytique in situ, des formes qui structurent le paysage urbain de la grande échelle: infrastructures, éléments dominants du paysage, topographie historique, permanences et fragilités, dysfonctionnements etc. Ni le travail sur carte – indisepnsablemalgé tout - et encore moins l’utilisation de Google Earth ne suffisent pas pour saisir les réalités géographiques et anthropologiques. Seulement le travail sur place, le parcours des territoires, le relevé de ce qui attire chaque étudiant, la lecture de l’histoire et des approches des autres disciplines peuvent permettre de s’imprégner du territoire. De même, il faut saisir des occasions pour faire rencontrer les étudiants avec des acteurs politiques, techniques, habitants etc. pour qu’ils aprlent de leur stratégies. A travers tout cela l’étudiant écrira par le dessin une nouvelle histoire en formulant des concepts d’intervention. Une méthode intéressante est d’ailleurs l’écriture de "scenarios". Il n’y a jamais une solution unique mais plusieurs solutions en fonction des stratégies qu’on veut privilégier.
Une dernière chose: le TEMPS. Tout projet réel se déroule dans le temps. Il faut du temps pour dessiner et réaliser le rpojet de territoire. Comment enseigne-t-on le temps du projet à l’étudiant futur architecte-urbaniste? A part de parler théoriquement et à travers des exemples de projets réalisés c’est une question très difficile...